Interview exclusive de François Lory, Alumni Gem Junior conseil (GEM PGE 1998)

Notre mission principale est la suivante : nous sélectionnons des entreprises que nous allons accompagner via une injection

Vous avez été récemment nommé président de la société régionale de capital investissement indépendante Capital Grand Est.
Pouvez-vous nous expliquer en quoi cela consiste exactement (description du métier, vos missions, je suppose qu’il n’y a pas de journée type…) ?

Notre mission principale est la suivante : nous sélectionnons des entreprises que nous allons accompagner via une injection de fonds propre, et un accompagnement des managers, chefs d’entreprise pour les aider à opérer des choix stratégiques, structurants, qui permettent de faire croître l’entreprise et de saisir les opportunités sur son marché.
Mon métier consiste à trouver les sujets d’investissement intéressants pour nos souscripteurs, c’est-à-dire aux personnes nous ayant confié leur argent pour que nous l’investissions, puis à les suivre pendant quatre à six ans.
Notre activité est donc essentiellement tournée vers les entreprises non cotées, et Capital Grand-Est est une structure assez singulière puisque nous sommes une société d’investissement régional. En substance, notre périmètre d’action se limite à la région Grand-Est, en irriguant les PME et Start-ups du territoire.
Les sociétés que nous accompagnons ont une raison supplémentaire de faire appel à des fonds d’investissement : la transmission. Il s’agit de les aider à réussir leur transition entre deux générations d’actionnaires. Par exemple, si un manager, également actionnaire principal d’une société, part à la retraite, sa participation au capital devra être rachetée. En général, le rachat s’opère en interne, mais parfois les managers n’ont pas les moyens de racheter l’ensemble des actions du président sortant. Dans ce cas de figure, un fonds vient les aider à financer cette opération de capital transmission et c’est typiquement ce qu’on appelle en anglais LBO, les Leverage Buy Out : ce sont des opérations avec un effet de levier qui permettent de racheter des entreprises avec des moyens apportés à la fois par des managers opérationnels et par des fonds pour l’investissement financier.

Votre poste actuel est en quelques sortes la suite logique de tout votre parcours comme vous nous l’avez expliqué. Pensez-vous qu’il s’agit là en quelques sortes de l’aboutissement de votre carrière avec l’obtention de ce très beau poste ?

J’ai changé plusieurs fois d’entreprise, mais je fais le même métier depuis quinze ans, et il est très difficile de s’en lasser. Tous les matins, je continue à être passionné par ce que je fais, tout simplement. Rencontrer des personnes dynamiques, optimistes et avec une soif d’entreprendre m’impressionne toujours autant. Tous les ans, je rencontre à peu près 100 à 150 porteurs de projets, je lis leur pitch et à chaque fois il s’agit d’entreprises singulières, de secteurs d’activité diversifiés, des histoires d’hommes et de femmes différentes. Il n’y a jamais de routine.

J’ai eu la chance d’avoir des expériences entrepreneuriales entre deux expériences financières et c’est cet écho qui m’a intéressé dans ce nouveau poste. Après avoir été investisseur pendant quinze à vingt ans, j’anime aujourd’hui une équipe d’investisseurs. Je continue donc à mettre les mains dans le moteur si je puis dire, mais mon rôle est aussi celui de manager, en plus des compétences techniques.
Je pense que, compte tenu du contexte économique qui succède au contexte sanitaire, les PME ont d’autant plus besoin de valeur ajoutée. Le rôle que nous donnons à l’investisseur financier s’en trouve renforcé, et c’est ce qui m’intéresse. Délivrer modestement la valeur ajoutée et le savoir accumulé en quelques années, c’est ce qui me satisfait le plus dans mon métier. Je ne sais pas si c’est l’aboutissement mais c’est, toutefois, une nouvelle étape très intéressante.


Concernant le milieu de la finance, nous nous avons une vision un peu naïve de l’extérieur d’un milieu qui est très dur, compétitif et concurrentiel. Est-ce vraiment le cas dans la réalité ? Que pourriez-vous nous en dire ?

De fait, mon métier est placé sous l’étiquette finance, mais, en réalité, il est assez peu financier. Le terme de consultant conviendrait davantage, mais je le trouve plutôt péjoratif. Un consultant interviendrait à un moment ponctuel et se désintéresserait ensuite du sujet. Ce n’est pas le cas pour un investisseur puisqu’il s’intéresse à un sujet, il investit et s’investit sur le long terme. Quelques bases financières sont nécessaires pour conduire l’investissement, mais le bon sens, couplé à des connaissances marketing, RH permettent d’aboutir à une stratégie pertinente, fondement de la plus-value que nous apportons.
En réalité, je ne m’inscris pas dans le cliché que l’on se fait de la finance, mais cela reste vrai pour certains milieux très concurrentiels où la compétition permanente règne. Néanmoins la concurrence n’est pas exclue lors de l’accompagnement de jeunes start-ups que tout le monde veut. Il peut arriver que les investisseurs financiers déroulent le tapis rouge, et il faut jouer avec cette concurrence, et là c’est en quelques sortes un métier de séduction.

Siège social de Capital Grand-Est

Justement quelle est votre plus belle séduction, votre plus belle réussite dans votre carrière ?
En existe-il une qui vous a marqué particulièrement ?

Oui il y a des réussites qui m’ont marquées parce que elles ont été des histoires humaines formidables, des rencontres avec des hommes et des femmes qui vous marquent plus que d’autres.
Il se trouve qu’il y a plus de dix ans j’ai rencontré en Alsace, un monsieur qui cherchait un investisseur pour financer la croissance de son activité. Il avait déjà quelques points de vente mais il voulait doper son activité, ce monsieur était pâtissier. Donc nous nous sommes rencontrés plusieurs fois, j’ai discuté avec ses équipes, et c’est tout naturellement que nous avons eu envie de travailler ensemble. Il se trouve qu’il est devenu un peu médiatique parce qu’il s’est bien développé, et que par conséquent il a pris beaucoup de lumière. Ce monsieur s’appelle Pierre Hermé.
Lorsque j’ai rencontré Pierre, il avait deux boutiques à Paris, par la suite il en a ouvert quelques-unes au Japon. Son équipe et lui ont vraiment pris le temps de m’expliquer quel était leur métier, la perception, la conception qu’ils en avaient. Plus tard, ils m’ont même demandé de les accompagner au Japon pour me montrer comment les consommateurs japonais appréhendaient la pâtisserie française. Je n’ai que de bons souvenirs de cette société qui a aujourd’hui plus de 50 boutiques à travers le monde.
Cette histoire s’est déroulée il y a plus de dix ans et malgré cela, les liens qui ont été créés entre nous ont perduré. Donc au-delà de la performance financière qui n’est finalement qu’une résultante, si en plus de cela on crée une belle expérience, de beaux souvenirs, c’est de cette expérience- là, de ces souvenirs-là, que va découler le réel sentiment de satisfaction.


Avez-vous des conseils à donner à quelqu’un qui veut travailler en finance ?

La finance comme je vous l’ai dit au cours de cet entretien, c’est des dizaines voire des centaines de métiers différents. Il est vrai que c’est quand même mieux d’avoir choisi des matières financières en école pour pouvoir s’orienter vers des formations qui sont un peu la porte de sélection nécessaire même si ce n’est pas ce qu’on a envie de faire après. Malheureusement on a tendance à être sélectionné sur la base des formations académiques et notamment pour les métiers bien spécifiques comme le mien.
Il faut toutefois viser des formations qui sont des pourvoyeurs naturels de jeunes diplômés et puis viser des métiers qui vous plaisent au-delà de la finance en général.
Les stages sont une démarche très intéressante et il est très nécessaire je pense de découvrir les métiers par un stage. Personnellement, j’ai découvert les métiers de bilan en faisant un stage en rentrant des États-Unis en troisième année pour valider mon diplôme français, je l’ai fait dans une banque d’affaires et regardez, je suis dans le même milieu depuis vingt ans.
Donc il faut vraiment utiliser ces périodes où ce n’est pas grave de se tromper où on a le droit de changer d’avis à l’issue de stages et de faire le stage suivant dans un autre secteur. Il faut vraiment les utiliser comme un test finalement et pour voir le fonctionnement de l’intérieur. On peut vous raconter énormément de choses, vous pouvez lire un tas d’articles mais tant que vous n’avez pas été pendant deux mois ou six mois dans une entreprise en voyant ce que font les gens et quel est leur quotidien vous ne saurez pas si vous êtes prêts à le faire pendant vingt ans. Donc c’est ça mon conseil. Il faut essayer de profiter de ces parenthèses professionnelles pendant la période de Grenoble Ecole de Management et c’est très bien que les écoles l’imposent parce qu’on apprend énormément plus en un mois de stage qu’en un mois de cours.


Revenons-en à notre point commun qui est GEM et plus précisément GEM Junior Conseil.
Que retenez-vous de vos années à la Junior Entreprise de GEM ?

Personnellement, j’ai été recruté en fin de première année. Je me souviens que cinq minutes avant l’entretien je ne savais pas encore pour quels postes j’allais candidater. Je savais que j’avais envie de m’impliquer dans une association qui est proche des entreprises, j’avais envie de concret, j’avais envie de voir des entreprises fonctionner, pouvoir discuter avec des entrepreneurs… Donc cinq minutes avant je me suis dit que j’aimerais bien prendre un rôle un peu transversal. Je me suis ainsi présenté en tant que secrétaire général.
Ce poste m’a permis très vite de mettre les mains dans l’organisation concrète de la Junior-Entreprise, dans le management des consultants. Le rôle de secrétaire général m’a comblé sur la diversité des sujets qu’il pouvait adresser, surtout parce que, sortant d’une classe préparatoire, c’était ma première expérience professionnelle.

Ce sont des souvenirs d’il y a vingt ans, c’est toujours plaisant de s’en rappeler. Nous avons été le mandat qui a travaillé pour la première fois avec Hewlett-Packard. Pour nous, c’était une victoire absolue d’arriver à travailler avec un grand groupe en étant une petite Junior-Entreprise de GEM.

Je consacrais énormément de temps à la JE en deuxième année. J’y ai appris des notions très essentielles, très concrètes, que l’on ne peut pas saisir dans la théorie des cours, il faut les pratiquer pour réellement les assimiler. Au-delà d’être une expérience plus que formatrice, la Junior-Entreprise et Grenoble Ecole de Management de manière générale m’ont permis de créer des liens complémentaires très forts avec les personnes que j’ai rencontrées. Vingt ans après, j’ai encore contact avec eux et je suis même le parrain du fils de l’ancien secrétaire général.
Une association en école c’est avant tout un lien trans générationnel et des coups de rames donnés dans le même sens de la part de différentes personnes qui à un moment montent dans un bateau puis qui en ressortent. Le bateau va toujours dans la même direction ou en tout cas les changements de direction ne sont pas brutaux, drastiques. C’est pour cela que ces associations perdurent, fonctionnent, parce qu’elles grandissent au fil des ajustements qu’elles subissent.